Tao Te King
verset 5
- Texte
- Explications
Sommaire
Publié le 3 Octobre 2023 à 11h33
Texte
Le Ciel et la Terre sont impartiaux.
Ils voient les 10 000 choses comme des chiens de paille.
Le sage n’est pas sentimental, il traite tous les gens comme des chiens de paille.
Le sage est comme le Ciel et la Terre, personne ne lui est particulièrement cher et il ne voit personne d’un mauvais œil.
Il donne,Il donne encore sans condition.
Offrant à tous ses trésors.
Entre le Ciel et la Terre se trouve un espace semblable à un soufflet, vide et pourtant inépuisable car plus on l’utilise plus il produit.
Tenez-vous au centre.
L’homme a été créé pour demeurer assis en silence et trouver en lui la vérité.
Explications
Le verset explore l'importance de l'impartialité dans la philosophie du Tao. Il invite à percevoir la matière comme éphémère et à se connecter au centre immuable. L'impartialité est la clé pour exprimer sa véritable nature sans condition.
Au-delà de l’illusion

Ce verset nous incite dans un premier temps à nous libérer de l’illusion de la matière. Les 10 000 choses font référence au monde de la matière. La partie manifestée, ce que l’on peut voir, toucher, entendre, sentir. Il s’agit de tout ce qui compose le monde qui nous entour. Les émotions et les pensées font aussi partie du monde des 10 000 choses.
Lao Zi nous dit que toutes ces choses ne sont que des « chiens de paille ». Un chien de paille est un objet qui servait dans les cérémonies de la chine ancienne. On utilisait cet objet comme sacrifice pour remplacer l’utilisation d’un vrai chien. C’est donc l’image de quelque chose qui est voué à être détruit. C’est en ça qu’il est l’image de l’impermanence des choses qui sont dans la matière. Tout ce qui fait partie des « 10 000 choses » finira par être détruit et transformé. C’est ici une première étape, percevoir que le monde qui nous entour, même s’il semble figé ne l’ait pas. Et que tout finira par être transformé. Dans 80 à 90 ans, la quasi-totalité de l’humanité présente actuellement sur terre sera remplacée par une autre génération.
Pour aller plus loin, il s’agit de voir que la matière n’est pas seulement impermanente, mais aussi une manifestation. Lao Zi donne l’exemple du soufflet, il nous dit que le soufflet se trouve entre le ciel et la terre. L’air projeté par le soufflet correspond à la matière. On voit que l’air généré par le soufflet n’a pas d’existence propre, c’est une mise en mouvement momentané de l’aire présent dans l’atmosphère qui va se dissiper. L’existence humaine est assez proche, c’est une mise en mouvement de molécules présentent sur terre qui vont finir aussi par se dissiper.
Mais si le soufflet se trouve entre ciel et terre, et que l’air expulsé par le soufflet correspond à la partie qui est sur terre, quelle est la partie qui se trouve dans le ciel ? Il s’agit de la force qui a activé le soufflet, la seule chose réelle et immortelle, celle que Lao Zi nomme le centre
Le Centre

Après avoir fait tomber le voile de l’illusion sur la matière, on peut accéder à ce qu’il y a derrière, ou plutôt au centre. Si la matière est la manifestation, le centre est la source de cette manifestation.
Bien qu’étant invisible pour les yeux, c’est la seule chose qui est réelle.
C’est la force qui anime la forme, mais ce n’est pas la forme elle-même.
Une fois qu’on a perçu le centre à l’intérieur de soi, on peut aussi le percevoir à l’extérieur. Chaque chose qui compose le monde à une forme extérieur, manifesté, mais aussi une vibration originelle.
C’est l’essence des choses. Le sage apprend à distinguer l’essence qu’il y a derrière la forme.
Les mots sont aussi une manifestation. Chercher à simplement les comprendre revient à essayer de comprendre l’humain en étudiant sa biologie. Le sage cherche à dépasser l’aspect biologique de l’homme cherchant son essence, sa véritable nature. Il en va de même avec les mots, la compréhension intellectuelle n’est qu’une étape. C’est en recherchant l’essence qu’il y a derrière le mot que l’on peut véritable accéder à l’enseignement. C’est pourquoi le sage parle peu. Cela évite à celui de rechercher une compréhension intellectuelle, il est obligé de se mettre dans une attitude de ressenti.
Par exemple, on peut étudier la photosynthèse, comprendre le phénomène de transformation de la lumière en oxygène par les arbres. Mais si on se place devant un arbre et qu’on se met à ressentir le processus, sentir que l’air que l’on respire est en partie créé par l’arbre devant nous. Visualiser cette transformation de la lumière en oxygène, le ressentir à l’intérieur de soi. L’expérience change totalement et on touche à l’essence qu’il y a derrière les mots. Ça ne veut pas dire que les mots et la compréhension sont inutiles, dans le cas de la photosynthèse le comprendre permet de mieux la ressentir.
Impartialité

Il y a un passage du texte qui est choquant et qui à volontairement était traduit de manière rendre plus doux. En anglais la traduction est « Le sage n’est pas sentimental ». La vraie phrase en chinois est « 圣人不仁 » , les sages ne sont pas bienveillants. C’est évidemment très choquant, mais il y a forcément une raison à cette phrase.
En réalité on peut l’entendre à deux niveaux :
Le premier niveau de compréhension est que le sage ne recherche pas à être bon, son intention n’est pas d’être bon. Il recherche à agir à partir du centre. Ce qui de fait aura pour conséquence d’agir avec bonté et bienveillance, mais ce n’est pas son intention, c’est la conséquence.
Il ne cherche pas à obéir à un code morale extérieur, mais à agir en accord avec sa véritable nature. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher à être bon. On n’est pas tous des sages accomplis, dans un premier temps on peut agir avec cette intention de faire ce qui est bien. Cependant il est important de se rappeler que le but n’est pas d’obéir à un code, mais d’être en accord avec sa véritable nature, qui elle est pure bonté.
Pour tenter d’imager ce concept, on peut prendre l’exemple de l’alimentation. Le but ultime est d’arriver à écouter son corps et manger ce que le corps réclame et a besoin. Sauf que c’est possible que lorsqu’on a déjà atteint une alimentation correcte. Avant d’avoir retrouvé une alimentation correcte, le corps est tellement déréglé qu’on ne peut se fier à ces envies.
Il en va de même avec le centre. Au début si on tente d’écouter le centre, on ne peut pas se fier complètement à lui. Le message est souvent distordu par notre structure qui n’est pas encore parfaitement rectifiée. C’est là que d’avoir un code est important. De la même manière qu’on commence par apprendre les aliments que l’on doit manger avant de se fier entièrement au ressenti.
Le deuxième niveau de compréhension est lié à l’impartialité. Le sage agit avec tout le monde pareil, de la même manière que le soleil éclaire pareil un homme bon et un homme mauvais. Le sage n’agit pas en étant bon, il exprime sa véritable nature qui est bonté. De la même manière que le soleil exprime sa nature lumineuse. Il ne la retient pas et ne choisit pas qui il éclaire ou non. Certains peuvent choisir de se mettre à l’ombre, mais ce n’est pas le soleil qui retient sa lumière.
Il en va de même avec le sage, il agit de la même manière avec chaque être. Il ne retient pas sa nature en fonction de qui il a en face de lui. Celui qui agit avec l’intention d’être bienveillant peut être tenté de retenir cette bienveillance lorsqu’il est en présence de quelqu’un qui ne la mérite pas. Le sage lui agit en exprimant ce qu’il est, la question ne se pose donc pas.
Le verset commence par nous dire que le but est d’atteindre l’impartialité et le reste du verset nous explique comment faire : dans un premier temps, se libérer de l’illusion de la matière, puis trouver et rester dans le centre, la seule chose réelle et immortelle pour au final l’exprimer sans limites ni condition.
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Emilien V.